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justice

2023 au Sénégal, l'année de tous les dangers?

Publié le par Cécile Sow

Quand l'année tire à sa fin, on se projette dans un futur que l'on espère meilleur que ce passé récent dont il restera des souvenirs agréables ou pas. Décembre est un mois particulier. Il est celui des résolutions, pas toujours sincères mais réconfortantes. Se donner bonne conscience, pour partir du bon pied au matin du 1er janvier, est un exercice agréable. Facile à faire, difficile à résoudre. Les équations du quotidien -enfouies durant les fêtes dans un coin de nos têtes- reviennent toujours assombrir le tableau. Ce qui vaut pour nous, vaut pour notre pays.

Le 1er janvier prochain, ne serait-il pas merveilleux d'ouvrir les yeux sur un Sénégal apaisé, réconcilié, libéré de ses démons? Oui, mais je ne crois pas à ce genre de miracle. Les casseroles de la dernière décennie sont en équilibre sur des charbons ardents et la perspective des élections présidentielles de 2024 continue de faire grimper dangereusement le thermomètre. En ajoutant la vie chère et la pauvreté, les dysfonctionnements récurrents dans des secteurs sensibles comme la santé, l'éducation, l'habitat, la justice, etc., on obtient une soupe à la grimace explosive. En 2023, il va falloir rafraîchir les esprits surchauffés et éviter les débordements. C'est à dire, jouer la carte de l'apaisement au lieu de celles du jaay doole, du def'ante et du maa tey. Il est temps de mettre un frein à l'intimidation, à l'usage abusif de la force et à la promotion du je-m'en-foutisme. Il y va de notre avenir commun.

Le Sénégal n'est pas un pays en guerre, mais nous n'y sommes plus en paix. Tous les jours, nous faisons face à la violence verbale, morale, physique. Les tensions, entre un pouvoir frileux, parfois répressif, et une opposition plutôt va-t-en-guerre, n'en sont pas la seule cause. Autour de nous, la violence atteint désormais des proportions effroyables. Elle se voit, elle s'entend, elle se vit. Nous la subissons au quotidien, de manière plus ou moins grave. La liste des horreurs est interminable. Des enfants exploités, torturés, même tués par des maîtres coraniques censés leur inculquer la foi en Dieu, l'amour et le pardon; d'autres maltraités, abandonnés, dans des endroits immondes, par des mères déboussolées, des coépouses haineuses; des femmes bastonnées, violées, tuées par leurs compagnons, leurs époux; des malades mentaux lynchés. Même dans les cimetières, nos morts ne sont plus à l'abri de cette sauvagerie. On s'émeut vite fait, puis on passe à autre chose: la politique! Encore et toujours. Puisqu'elle est placée, malgré nous, au début et à la fin de tout, les politiciens -hommes et femmes ensemble- devraient s'engager dans la lutte contre la violence. Contre toutes les formes de violence.

Nous vivons dans une société dont les fondements s'estompent au fil du temps et des ignominies. La méfiance gagne du terrain et nous pousse à nous regarder en chien de faïence, à nous comporter en ennemi. A ce rythme, le Sénégal risque de devenir ingouvernable. Ces acteurs politiques, prompts à crier, menacer, taper en sont-ils conscients? Les scènes surréalistes qui se déroulent à l'Assemblée nationale, depuis l'installation mouvementée de la 14ème législature, peuvent également nous conforter dans l'idée d'une dégradation flagrante de la situation générale. Au lieu de représenter, avec dignité, un peuple qui ne demande qu'à vivre dans un environnement stable et sain, propice à son épanouissement, certains députés se donnent en spectacle de la pire des manières. Urne, micro, perruque, chaussure volent pendant que pleuvent gifles et coups de pied, devant les caméras et sous le regard incrédule de leurs concitoyens. Bien que cela ne laisse personne indifférent, nous constatons que des actes condamnés par les uns sont glorifiés par les autres. Cette bizarrerie provient d'une partialité totalement assumée par plusieurs personnes. Pourtant, la loi de la proximité politique (ou du genre) ne devrait jamais prévaloir sur nos lois tout court. Cela est d'autant plus dangereux que la relation de confiance entre de nombreux Sénégalais et les institutions judiciaires est déjà bien fragile. Si chaque citoyen devait rendre la justice selon ses affinités, croyances, etc., ni la nation ni la république ne survivraient. Nous en sommes presque là.

Tandis que 2023 pointe à l'horizon, on pressent une année difficile, sur tous les plans. Que l'on tienne compte ou pas de la conjoncture mondiale ainsi que de l'instabilité et de l'insécurité dans la sous-région-ouest-africaine, le pays de la Teranga, déjà fragilisé par plusieurs secousses, pourrait trembler de nouveau. Depuis les évènements du mois de mars 2021, le Sénégal n'est plus le même. Les Sénégalais non plus. Et, ces violences inédites n'étaient pas uniquement l'expression d'un soutien populaire inconditionnel à Ousmane Sonko. Elles étaient aussi la conséquence d'une colère devenue insupportable pour beaucoup de nos compatriotes, victimes de leurs espoirs déçus.  

Depuis la première alternance, survenue en 2000, les élections présidentielles sont encore plus perçues comme un rendez-vous crucial, synonyme de rupture ou de continuité, selon la préférence de chacun. Les populations, les électeurs notamment, les attendent avec impatience. Ces derniers votent pour la plupart avec conviction, puis accueillent les résultats avec un sentiment de devoir accompli, même lorsque leur candidat a été évincé. Jusqu'à présent la sagesse populaire l'a emporté et le Sénégal a été épargné par les longs et sanglants conflits électoraux que l'on a vus ailleurs. En sera-t-il de même en 2024? Tout dépendra de 2023.

L'État ainsi que les dirigeants politiques, en particulier ceux qui ont des ambitions présidentielles, ont aujourd'hui la responsabilité de définir leurs priorités, en tenant compte de l'état d'esprit des populations ainsi que du climat général tendu. En 2023, il va falloir mettre le doigt sur nos problèmes de comportement et apprendre à respecter les règles de vie en société comme celles du jeu démocratique, entre autres. La quête du pouvoir n'est pas une compétition ordinaire. Les humains ne sont pas des pions que l'on abat et que l'on relève. Ils valent plus que le prestige tiré d'une position sur l'échiquier politique national ou d'une fonction au cœur de l'État ou de ses démembrements. La vie des Sénégalais est précieuse. Une partie qui se termine avec des blessés, des morts et des dégâts matériels inestimables, dont les populations seront les premières à souffrir, ça ne doit pas exister.

 

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Sénégal, Quand des apprentis-dictateurs gangrènent la nation ...

Publié le par Cécile Sow

A priori, il ne pourrait y avoir qu'un seul dictateur. Seul maître à bord, il tiendrait la barre au gré de ses humeurs, besoins ou envies. Peu importe les vents ou la marée, il prendrait la direction qu'il voudrait. Quitte à fracasser son embarcation, pleine de ses concitoyens, contre un mur de rochers. Dieu merci, le Sénégal n'a jamais connu la dictature, civile ou militaire. S'il est vrai que chacun de nos dirigeants successifs pourrait avoir sur la conscience des cas d'arrestations et de détentions arbitraires, des morts suspectes ou encore des évènements douloureux, qui auraient pu être évités, notre pays n'en est pas moins une démocratie. Les Sénégalais choisissent leurs dirigeants et représentants lors des différentes élections; ils ont généralement le droit de se rassembler et de manifester; ils peuvent aussi exprimer leurs opinions dans les médias ou sur les réseaux sociaux, sans courir le risque d'être embarqués, de nuit, par des forces spéciales qui les retiendraient dans des lieux tenus secrets, pour une durée indéterminée, de surcroît sans jugement. C'est ce qui arrive encore dans certains pays.

Le Sénégal n'est pas une dictature, mais de plus en plus de Sénégalais se comportent comme des dictateurs. Cette liberté d'expression, à laquelle nous tenons tant, est devenue une arme à double tranchant. Parce que l'on peut tout dire, partout et à tout moment, en public ou en privé, un rien devient susceptible de provoquer une avalanche de reproches, d'injures ou de menaces, voire des appels à la violence ou au meurtre (oui, j'en ai vus!). Les écrits, les paroles et les actes ne sont plus perçus pour ce qu'ils sont.Trop souvent, ils sont sortis de leur contexte, déformés et sujets à des interprétations farfelues, n'obéissant à aucune logique, si ce n'est celle de la partisanerie béate. Même lorsque nous parlons de la pluie et du beau temps, il y en a qui trouvent le moyen de politiser les discussions. Comme si tout, sans exception, tournait autour de la politique; comme si le Sénégal était une arène (avec deux rois en son centre: le Président Macky Sall et l'opposant Ousmane Sonko).

Nous sommes plusieurs à revendiquer le droit de vivre et de nous exprimer librement, en dehors de toute considération politique ou politicienne, à déplorer le fait que les débats, quel que soit le sujet, soient désormais réduits à une sorte de ping-pong infernal entre les "pour" et les "contre". Pourtant la vie ne se résume pas à camper sur ses positions -sans considérer celles des autres- ni à les défendre coûte que coûte, en particulier quand la paix sociale est menacée. Ce dualisme puérile est un dangereux poison pour la nation. 

Au cours des dernières années, j'ai découvert des Sénégalais capables de dévoiler une palette d'injures honteuses et dégradantes, pour leurs auteurs autant que pour leurs cibles, ainsi que des hommes et des femmes prompts à relayer, sans sourciller, de fausses informations. Néanmoins, à choisir entre prêcher dans le désert ou me taire, je préfère la première option. La deuxième est inenvisageable pour tout Sénégalais aimant son pays et soucieux de l'avenir de ces centaines de milliers d'enfants qui n'ont demandé ni à naître ni à supporter, au quotidien, les conséquences de notre inconséquence.

Il y a quelques mois, on se souvient que des élèves avaient été arrêtés parce qu'ils avaient saccagé une salle de classe. Comment leur faire comprendre que ce qu'ils ont fait est mal quand l'indiscipline et la violence règnent dans les foyers, dans les rues et jusqu'au cœur de nos institutions? Comment leur inculquer des notions de savoir-vivre quand des apprentis-sorciers et dictateurs d'un genre nouveau pullulent sur les plateaux de télévision, les antennes des radios et sur les réseaux sociaux? Comment leur apprendre à croire en leur pays et à l'aimer quand le mensonge et la trahison, entre autres vilenies, sont banalisés et utilisés pour "réussir"? Comme si la réussite se mesurait en billets, en véhicules, en terrains, en maisons, en épouses et en maîtresses, en bijoux, en voyages...

Ce pays est le nôtre. Nos différences et même nos divergences pourraient nous permettre d'évoluer, à condition d'accepter nos lacunes et de prêter une oreille attentive à ceux qui ont des compétences et des connaissances que nous n'avons pas. Nous manquons cruellement d'humilité et de lucidité. C'est peut-être aussi pour cette raison que l'invective, l'injure et la calomnie ont presque fini de réduire le dialogue à néant. Nous nous éloignons de plus en plus de ce qui faisait du Sénégal un pays spécial, ayant vu naître et évoluer des femmes et des hommes de qualité, connus et respectés, ici et au-delà de nos frontières. Ils sont nombreux, vous les connaissez.

Je peux comprendre que beaucoup profitent des médias et des réseaux sociaux pour exister, pour exprimer leur colère et leur ressentiment, mais je ne veux pas d'une liberté d'expression qui engendre des dictateurs. Ces derniers prétendent parler au nom du peuple et, au lieu de l'unir, ils le divisent. Cette minorité visible ne peut pas prendre en otage 17 millions de Sénégalais. Nos dirigeants non plus. D'ailleurs, le meilleur service que nous puissions rendre à ceux qui gouvernent ou aspirent à gouverner, serait de leur dire la vérité. Les laudateurs ne valent pas mieux que les apprentis-dictateurs; ils sont aussi dangereux qu'eux. Quand un chef s'égare, ce sont ses plus proches collaborateurs et les citoyens qui doivent le rappeler à l'ordre, sans violence ni agressivité, mais avec respect et fermeté. Notre constitution nous permet d'utiliser divers moyens afin de faire valoir nos droits et elle garantit notre liberté d'expression. Qu'on en fasse bon usage! A chaque époque ses réalités. L'ère des messies étant révolue, le premier détenteur du pouvoir est le peuple. Ne gaspillons pas notre énergie à nous détester à cause de la politique ou de ses acteurs. Quand on se bat à bord d'une pirogue, elle tangue. Sunugal ne doit pas sombrer. 

 

 

 

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La souffrance des hommes...

Publié le par Cécile Sow

La souffrance des hommes est une réalité dont on parle peu. Au Sénégal, et peut-être ailleurs, ils sont censés encaisser les coups de la vie, même les plus violents, sans se laisser submerger par la peine ou le désespoir. Notre société voudrait que larmes et sanglots soient le propre de la femme; cet être que l'on dit fragile, auquel on impose pourtant la résignation, même lorsque son chemin est parsemé d'épines et de braises ardentes. Mais la souffrance des hommes devrait aussi nous interpeller. 

L'histoire du Dr Falla Paye, qui avait tué ses trois enfants, avant de se donner la mort, au mois de novembre 2021, m'avait plongée dans la tristesse, puis dans une profonde réflexion. Point de jugements sur le dentiste ou sur son épouse, qu'il avait lourdement chargée dans une lettre d'explication. Plutôt une volonté de comprendre comment un père de famille pouvait en arriver là. Plus récemment, le suicide, dans une école, de l'étudiant Mbaye Wade, âgé de 25 ans, incriminant son père dans une note écrite, a suscité émotion et incompréhension.

J'ignore combien de personnes se suicident tous les ans au Sénégal, mais je constate que la presse signale régulièrement des cas, dans les villes et les campagnes, chez les jeunes et les seniors. Dans notre pays, où la population, en majorité musulmane, se dit croyante, on a tendance à justifier ces fins dramatiques par un manque de foi. Idem chez nombre de chrétiens. Néanmoins, une foi fragile ou inexistante ne saurait les expliquer. Et d'ailleurs, qui plus que Dieu a le droit de mesurer la foi des uns et des autres? De surcroît, dans une société prompte à calomnier, détruire, juger, condamner, etc., sacrifier son prochain, avec parfois la bénédiction d'adeptes des sciences occultes. 

La souffrance des hommes existe bel et bien. Il suffit d'être attentif pour constater qu'ils croulent, eux aussi, sous le poids des contraintes sociales. L'argent et le matériel, bien ou mal acquis, ayant pris le dessus sur toute autre considération ou presque, humiliations, injures et même dans certains cas les coups, peuvent pleuvoir sur eux. En particulier quand ils n'ont pas les moyens financiers de satisfaire les exigences, parfois démesurées des leurs, quelles qu'en soient les raisons. Traités d'incapables, privés de nourriture ou de relations intimes, contraints de se séparer de la femme qu'ils aiment et de leurs enfants, exclus du domicile conjugal ou du cercle familial, etc., les hommes maltraités, par leurs proches, ne sont pas si rares. Quand ils arrivent à se départir du manteau de la fierté,  certains diront ce qu'ils endurent. Les émissions interactives, à la radio et à la télévision, en disent long sur les dégâts causés par des rivalités exacerbées par le culte de l'apparence. 

Parmi les hommes qui souffrent, il y en a qui fuient, qui perdent la raison, qui se murent dans le silence, qui se noient dans l'alcool ou la drogue, qui deviennent agressifs et violents, qui mettent fin à leurs jours. N'imaginez pas que mon propos vise à dédouaner ces hommes coupables de crimes contre leurs épouses, leurs enfants ou contre toute autre personne, sous prétexte qu'ils souffrent. Ce ne serait ni juste ni acceptable. Mon intention est plutôt d'attirer l'attention sur notre responsabilité collective face à ce mal-être affectant une partie de la population tandis qu'une autre se complaît dans l'ostentation et la frivolité.

Qui sait vraiment ce qui a pu pousser au suicide le Dr Falla Paye, le jeune Mbaye Wade ainsi que tous ces hommes qui commettent l'irréparable? Mon sentiment est qu'ils étaient en proie à une souffrance devenue insupportable et qu'ils devaient penser insurmontable. Il y a des tragédies évitables. Une oreille attentive ainsi que des paroles bienveillantes peuvent aider à sortir une personne de la détresse et lui donner la force dont elle a besoin pour avancer dans la vie. Mais plus que le dialogue, nous aimons la bagarre.

Les histoires de coups et blessures, injures publiques, chantages et menaces ou encore divulgation d'images privées à caractère sexuel sont  tous les jours dans la presse. Nous y sommes tellement habitués qu'elles en deviennent banales, sauf dans des cas particuliers. En général, plus c'est affreux, plus ça intéresse.

Comme j'aimerais que ces malheurs nous poussent à nous interroger sur nos maux afin de les comprendre et de tenter d'y remédier. Mais au contraire, nous continuons de chercher de nouveaux coupables: manque de foi, esprits malfaisants, séries télévisées étrangères ou locales, réseaux sociaux, etc. Le mal vient de l'autre, pas de nous. Cette posture, facile et confortable, n'est sans doute pas celle qui nous permettra de mieux éduquer nos enfants, nos jeunes et même certains adultes. Reconnaître nos carences ainsi que la souffrance des hommes est une étape nécessaire dans le processus de guérison. Cela ne signifie pas que nous oublions les femmes, mais que nous voulons bien soutenir les hommes vulnérables. Que nous l'admettions ou pas, leur souffrance est la nôtre.

 

 

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Adji Sarr, un an après...

Publié le par Cécile Sow

Ce mardi 8 mars 2022, tandis qu'une partie de la planète se souvient que les femmes n'ont pas que des devoirs, mais aussi des droits, je reçois un message m'invitant à co-signer une tribune sur la plus célèbre masseuse du Sénégal, Adji Sarr. Estimant qu'il y a trop de zones d'ombre dans cette sulfureuse affaire, je botte en touche. Puis je repense à la proposition et décide de me prêter à cet exercice sensible, mais en solo. 

Ma réticence ne vient pas des réactions intempestives, souvent violentes, qui fusent chaque fois que son nom apparaît ni des tentatives évidentes de manipuler l'opinion en faveur de l'accusatrice ou de l'accusé. Elle se justifie plutôt par le fait que, contrairement à de nombreuses personnes dont les avis pullulent sur les réseaux sociaux, je pense ne pas en savoir assez pour me prononcer sur le fond. Ce dossier, avec d'un côté une vraie victime ou une femme instrumentalisée et de l'autre un homme politique en pleine ascension censé incarner la vertu, reste préoccupant. En attendant de savoir ce qui lie et/ou oppose réellement Adji Sarr et Ousmane Sonko, leurs ennuis me font dire que, même si eux ont été exposés, trop de maux sont encore déversés dans le profond puits du masla et du sutura. Celui où, au nom des convenances, on se débarrasse des choses honteuses ou condamnables, souvent au détriment des femmes.

Certes, grâce à Adji Sarr, on parle sans doute plus de viol et d'agressions sexuelles aujourd'hui que par le passé, mais cela ne semble pas servir la cause des victimes présumées ou avérées. Au contraire. Qu'il s'agisse d'Adji Sarr ou d'une autre, la femme est coupable et la plupart du temps condamnée par la société. Le mauvais accoutrement les mauvais gestes les mauvaises paroles au mauvais endroit au mauvais moment. Sans tenir compte des faits, on les accuse, encore et encore, d'avoir envoyé des signaux invitant à avoir une relation sexuelle. D'ailleurs, beaucoup de gens en parleront comme s'ils avaient été présents. Même lorsqu'il s'agit d'enfants, on trouve le moyen d'incriminer les mamans, accusées de négligence...  

Depuis cette affaire Adji Sarr, le mot viol et l'acte qu'il décrit sont devenus d'une telle banalité. Parce qu'on lui a ôté son caractère odieux et criminel, les personnes conscientes de la gravité d'un viol sont de plus en plus rares.  Tout aussi alarmant, moralisateurs et justiciers zélés -parmi lesquels des femmes- ont presque réussi à graver dans les esprits de certaines jeunes filles que si elles étaient un jour victimes de viol(s), elles en seraient les premières responsables. C'est pourquoi, un an après les violences ayant suivi la plainte d'Adji Sarr et les déboires judiciaires d'Ousmane Sonko et au lendemain de la célébration de la Journée internationale de la Femme (ou des Droits des Femmes, selon les pays), il est important de revenir sur cet épisode douloureux. Outre ces quelques raisons évoquées plus haut, il me semble aussi nécessaire de clarifier certaines choses. 

A mon humble avis, les violences de mars 2021 n'étaient pas uniquement l'expression d'un soutien populaire inconditionnel à Ousmane Sonko. Comme ces attaques verbales et physiques quotidiennes, plus ou moins graves, dans les foyers, les rues, les marchés, les bureaux..., elles étaient la conséquence d'une colère devenue insupportable pour beaucoup. Oui, les Sénégalais sont fâchés. Peut-être pas tous, mais une bonne partie. Ils sont fâchés parce que la vie est si dure que, comme on l'entend souvent, ils ne voient même plus la queue du diable pour la lui tirer. Ces évènements nous ont aussi rappelé, de manière brutale, que la paix sociale est un acquis précieux, mais fragile.

Grâce ou à cause d'Adji Sarr et d'Ousmane Sonko, je suis désormais convaincue que la rupture de confiance entre les populations et les dirigeants, souvent évoquée par l'opposition ou la société civile, est bien réelle. Malgré deux alternances politiques et les promesses d'une vitalité démocratique accrue, un climat délétère s'est s'installé au Sénégal. Tout le monde -ou presque- parle de tout, tout le temps, sans avoir les bonnes informations et parfois dans le but de nuire à l'autre. Plus dangereux, nombreux sont ceux qui croient que leurs convictions sont des vérités absolues. Cette histoire de moeurs devenue socio-politico-judiciaire n'échappe pas à cette tendance. C'est regrettable. 

En mars 2021, nous avons vu de quoi était capable une foule en colère. Onze mois plus tard, le 6 février 2022, après la victoire du Sénégal à la CAN (Coupe d'Afrique des Nations), nous avons vu de quoi était capable une foule euphorique. Dans un cas comme dans l'autre, on constate que les populations, en particulier les jeunes, ont une capacité certaine à se comprendre et à s'unir. C'est une bonne et une mauvaise chose pour nous et pour l'ensemble des dirigeants de notre pays, du pouvoir comme de l'opposition. Une bonne car cela prouve qu'ils peuvent compter sur la jeunesse; une mauvaise car cette jeunesse, qui a des aspirations et des exigences, généralement légitimes, peut de nouveau craquer, quel que soit le régime en place. Pour prévenir certaines tensions et restaurer la confiance, il va falloir plus de transparence. Il est temps de rétablir la vérité sur Adji Sarr et Ousmane Sonko, ainsi que sur tous ces dossiers dits politico-judiciaires en suspens...

 

 

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A bas les "pensées uniques"...

Publié le par Cécile Sow

De nos jours, dès que l'on entend parler de la "pensée unique", on replonge immédiatement dans les années sombres de certaines dictatures sanglantes d'Afrique ou d'ailleurs. On imagine, avec effroi, ces prisonniers d'opinion torturés, mutilés, assassinés pour avoir défié des règles dictées par un chef autoritaire et ses sbires. Des images vite chassées de nos esprits, souvent occupés à refaire le monde via les réseaux sociaux. Si les arrestations arbitraires et surtout les exécutions sommaires ont presque disparu, nous ne sommes pas pour autant protégés des abus commis par des dictateurs d'un genre nouveau. Ces derniers, apprentis ou confirmés, sévissent sur la Toile. 

Rares sont celles et ceux qui n'ont jamais été victimes de ces justiciers-moralisateurs, agissant à visage découvert ou planqués derrière leurs claviers, pour imposer, par tous les moyens, une manière de penser, de parler, de se vêtir, de se comporter, de se nourrir... Bref, de vivre. Méthode douce passant par la sensibilisation ou forte avec injures et menaces. Dans les deux cas, le constat est le même: les partisans des "pensées uniques" sont légion!

Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour réaliser que tout sans exception est sujet à polémique, ce qui en soi n'est pas un problème. En revanche, quand tout devient susceptible de déclencher une avalanche d'insanités pour humilier l'autre et le faire plier, c'est inacceptable.

A la lecture de ce texte, certains diront que tout est relatif, que ce qui est un manque de respect ou une injure pour l'un ne l'est pas pour l'autre, que la liberté d'expression donne le droit de dire ce qu'on veut, même quand les conséquences sont tragiques (repli sur soi, dépressions, expéditions punitives...). A ceux-là, je réponds que "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Ce que chacun est libre de dire ou de faire dans son cercle, il n'est pas libre de le dire ou de le faire chez les autres, qu'ils soient ouverts, compréhensifs et tolérants ou pas. J'ajoute que -sauf cas de force majeure?!- éviter d'infliger à autrui  ce que l'on ne veut pas avoir à subir relève du simple bon sens.

Nous sommes tous différents et appelés à nous côtoyer, même si ça nous déplaît. Sauf peut-être celles et ceux qui décident de vivre en vase clos avec leurs semblables, supposés ou avérés...

Pour en revenir à ces nouveaux dictateurs, adeptes de l'insulte ou du baston, n'est-il pas temps de leur dire que le dialogue est source de paix et d'enrichissement mutuel? Privilégions-le sans a priori douteux car les conclusions tirées à la hâte sont souvent source d'incompréhension et de division. En outre, à force de vouloir exister, beaucoup ont tendance à s'emballer, faisant ainsi d'un grain de sable une montagne, qui de toute façon subira la loi des réseaux sociaux. Le principe du buzz, c'est d'être éphémère. Par contre, les effets du buzz, positifs ou négatifs, sont incalculables et durables.

Le terrorisme intellectuel nourrit les frustrations et les haines. Notre monde est désormais habité par des extrémistes de toutes sortes qui n'hésitent pas à devenir violents pour être entendus et suivis. J'ose espérer que cela changera un jour.

Je prêche, sans doute, dans le désert, mais ce n'est pas une raison pour me taire. Surtout quand on sait que de nos jours, au Sénégal, beaucoup de personnes avisées refusent de participer au débat public pour éviter des attaques virulentes contre elles voire contre leurs proches. Il faut dire que de nombreux Sénégalais sont prompts à prendre des raccourcis pour dénigrer quiconque prend la parole, quel que soit le sujet. Quelques exemples:

- Vous saluez un acte posé par le chef de l'Etat ou son gouvernement: vous cherchez un poste ou vous êtes un opportuniste incompétent qui mange dans le râtelier du pouvoir;

- Vous soutenez l'opposition: vous faites du boucan pour être embarqué dans le navire présidentiel, vous êtes instrumentalisé par une obscure puissance ennemie du Sénégal et de ses valeurs;

- Vous êtes féministe: vous êtes frustrée car vous n'avez pas trouvé l'homme de votre vie ou vous êtes une complexée doublée d'une lesbienne;

- Vous dénoncez le harcèlement sexuel: vous êtes moche et en colère parce que les hommes ne vous draguent pas;

- Vous dénoncez les excès de certains groupes religieux ou la mendicité des talibés (élèves des écoles coraniques): vous êtes un disciple de Satan, un franc-maçon;

- Vous êtes opposé à la discrimination ou à l'emprisonnement des homosexuels: vous êtes un ennemi de Dieu et un pervers porte-malheur;

- Vous refusez de faire l'apologie de l'homosexualité: vous êtes homophobe ou un homosexuel refoulé;

- Vous vous interrogez sur l'opportunité du remplacement du franc CFA par l'Eco: vous êtes un aliéné mental au service de la France, esclavagiste et pilleuse de ressources;

- ...

Cette liste, non-exhaustive, peut paraître caricaturale. Sachez que ces clichés ne sont pas le fruit de ma réflexion; ce sont plutôt des appréciations piochées çà et là.

Si pendant des décennies, des pionniers ont sacrifié leur liberté et risqué leur vie pour que le monde change et évolue dans un sens propice à l'épanouissement de tous, je suppose que ce n'est pas pour qu'aujourd'hui la liberté d'expression -ce bien précieux!- soit mise au service de la division et de la haine. Respecter les opinions et les choix des autres, c'est faire un bon usage de la liberté d'expression. Peut-être suis-je un jour tombée dans les travers que je dénonce aujourd'hui? Le cas échéant, je prie mes lecteurs de m'en excuser.

A bas les pensées uniques!

 

 

 

 

 

 

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Abdoulaye Wade, quand l'histoire oublie l'avocat

Publié le par Cécile Sow

Si Abdoulaye Wade ne s'est jamais départi de son titre de "Maître", il y a toutefois bien longtemps qu'il a quitté les prétoires au profit de la scène politique. Ainsi, il n'est guère surprenant que les souvenirs de l'opposant puis du président de la République aient estompé celui de l'avocat. Au moment où le barreau du Sénégal, créé par ordonnance le 3 septembre 1960, souffle ses 60 bougies, rares sont ceux qui savent que l'ex-chef de l'État est le plus ancien avocat sénégalais ayant exercé son métier dans le pays avant l'Indépendance. Nommé avocat-défenseur près la Cour d'Appel et les Tribunaux de l'A.O.F. (Afrique occidentale française) par arrêté n°3856/JA du 8 mai 1958, Abdoulaye Wade devance de quelques mois la doyenne du barreau, Maître Eugénie Issa-Sayegh, toujours membre du Conseil de l'Ordre...

Avant de pratiquer au Sénégal, Abdoulaye Wade est établi à Besançon (France). Il avait prêté serment devant la Cour d'Appel de la ville, au mois de décembre 1955, suite à l'obtention de son Certificat d'aptitude à la profession d'avocat, Capa, délivré par la faculté de droit de l'Université de Dijon, le 25 novembre de la même année. Après un stage de deux ans, il décide de rentrer au Sénégal. Par conséquent, il demande son inscription à Dakar. Mais à cette période, être nommé avocat est compliqué. La connaissance du droit n'étant pas la seule exigence, tous les candidats sont soumis à des enquêtes rigoureuses. Et Abdoulaye Wade n'y échappe pas.

Dès qu'il fait sa demande, le Procureur général chef du service judiciaire à Dakar contacte le Commissaire central de police de Besançon pour obtenir des renseignements. Ainsi, dans un rapport estampillé "confidentiel" et "urgent", daté du 28 janvier 1958, on note qu'il est déjà connu dans la région. Abdoulaye Wade a des accointances avec des communistes, il a été président de la Fédération des étudiants d'Afrique noire (section Besançon), il est en faveur de l'indépendance, ..., et, surtout, il défend des Algériens poursuivis pour "activités anti-nationales" dans des procédures de droit commun et des "affaires liées à l'intégrité du territoire". Malgré ce tableau peut-être alarmant pour les autorités de l'époque, Abdoulaye Wade, âgé de 29 ans, présente des qualités certaines. Selon le Procureur général de Besançon, il a toujours plaidé "avec beaucoup de correction, ..., en restant sur le terrain du droit et des faits, sans faire de digression sur le plan politique". Cette appréciation plutôt favorable lui a sans doute servi.

Ironie de l'histoire, quelques années après sa nomination comme avocat-défenseur à Dakar, Me Abdoulaye Wade plaide en faveur de Mamadou Dia, le Président du Conseil accusé, entre autres, d'atteinte à la sûreté de l'État lors de la crise politique de 1962. Plus d'un demi-siècle plus tard, il affirme avoir été "très malheureux" de n'avoir pas pu lui éviter une condamnation "injuste et très sévère" (perpétuité, Ndlr). Pour lui, Mamadou Dia n'a jamais voulu faire un coup d'État...

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Des "conseils commissionnés" au barreau communautaire de l'UEMOA

Publié le par Cécile Sow

La profession d'avocat apparaît officiellement, à Saint-Louis, le 5 mars 1859, à la suite de la publication, par le gouverneur Louis Faidherbe, de l'arrêté n°26 définissant la profession de "conseil commissionné". Pour être nommés, les candidats doivent avoir 25 ans accomplis et connaître le droit. Ceux qui ne sont pas licenciés en droit sont soumis à un examen public sur les lois et ordonnances en vigueur dans la colonie. Ils doivent aussi être citoyens français, naturalisés français, nés d'un père français ou avoir servi dans l’armée française. Les conseils commissionnés -dont le nombre est alors limité à cinq sur toute l'étendue du territoire- ont un statut d'officier ministériel et exercent sous l'autorité du Procureur général. L'appellation "conseil commissionné" est remplacée en 1901 par "défenseur", puis "avocat-défenseur" de 1905 à 1960.

Les archives de la famille Crespin, des Métis de Saint-Louis, permettent de situer l'apparition du premier conseil commissionné natif du Sénégal en 1872. Mais, Jean-Jacques Crespin est surtout connu pour avoir été maire de la ville, en 1890 et 1894. Dans les années 1900, ses deux fils, Georges et Germain, ainsi qu'un autre Mulâtre, Louis Huchard, deviennent à leur tour défenseurs. Quant au célèbre Maître Lamine Guèye, il prête serment le 4 février 1921 devant la Cour d'appel de l'Afrique occidentale française (A.O.F), située à Dakar.  Généralement considéré comme étant le premier avocat sénégalais, Lamine Guèye avait pourtant été devancé de huit ans par François-Xavier Benga, un Lébou né à Gorée le 27 août 1885, inscrit au barreau de Paris en 1913 et devenu bâtonnier de Châteauroux en 1935.

Jusqu'en 1947, année de l’inscription de Babacar Sèye, diplômé en Droit de l'Université de Montpellier, la majorité des avocats-défenseurs exerçant au Sénégal étaient des Français de la Métropole ou des Antilles. Mais, après l'élection de Lamine Guèye à la mairie de Dakar, plus de Sénégalais accèdent à la profession. Les bourses d'études offertes par la mairie, puis l'ouverture de l'École de Droit de Dakar, en 1950, contribuent à ce début de "sénégalisation". Ainsi, entre 1949 et 1960, arrivent notamment Sidy Karachi Diagne, Fadilou Diop, Doudou Thiam, Boubakar Guèye, Malick Dione, Valdiodio Ndiaye, Omar Diop, Ogo Guèye, Moustapha Seck, Khar Ndofene Diouf, Abdourahmane Diop, Lamine Sall, Amadou Diop dit Thierno ou encore Moustapha Wade et son jeune frère Abdoulaye Wade, futur président de la République du Sénégal. Les premiers avocats ont presque tous joué un rôle majeur dans la lutte pour l'égalité des droits et l'indépendance ainsi que dans la mise en place et l'organisation de la Fédération du Mali. Et depuis 1960, plusieurs ont occupé (et occupent toujours) des postes clés au sein des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

A.N.A, première organisation d'avocats au Sénégal

Avant l'Indépendance, bien que plusieurs documents mentionnent les barreaux de Dakar et de Saint-Louis, il n’existe pas de barreau légalement constitué. En revanche, des archives révèlent l’existence d'une association portant la parole des avocats-défenseurs. La section dakaroise de l’A.N.A (Association nationale des avocats inscrits aux barreaux de France et de la communauté française), créée semble-t-il en 1955, est présidée par Alain Crespin (fils de Germain Crespin et petit-fils de Jean-Jacques Crespin). L'A.N.A avait été fondée en France en 1921 à l'initiative de Maître Jean-Appleton, considéré comme anticolonialiste.

3 septembre 1960, création du premier barreau du Sénégal

Le 3 septembre 1960, la profession d'avocat devient la première profession libérale organisée en forme statutaire. Le Barreau du Sénégal a été créé, par ordonnance, 14 jours après la proclamation de l’Indépendance, intervenue dans la nuit du 19 au 20 août 1960, et quatre jours avant la formation du premier gouvernement de la république naissante dont la composition fut rendue publique le 7 septembre 1960, par le Président du Conseil, Mamadou Dia.

Le nombre exact d'inscrits en 1960 n'est pas connu car le tableau de l'Ordre des avocats du Sénégal le plus ancien, conservé à la Maison de l'avocat (siège du barreau à Dakar), date du bâtonnat de Maître Malick Dione, élu en 1965. Il compte 45 avocats dont 4 stagiaires; les Sénégalais ne représentent qu'un tiers de l'effectif. Le premier bâtonnier du Barreau du Sénégal est le Français Pierre Geni. Maître Abdourahmane Diop -fils du futur grand Serigne de Dakar El Hadj Moussé Diop et de Katy Diop- lui succède en 1961. Il devient ainsi le premier bâtonnier sénégalais.

1960-1984, Vers la création de l'Ordre des avocats du Sénégal

A partir de 1960, les conditions d'admission au barreau changent de manière significative. Les enquêtes de moralité ne sont plus confiées à la police, mais au Conseil de l'Ordre, qui, avec le bâtonnier, statue sur les demandes. En revanche, les avocats restent soumis à l'autorité des magistrats, notamment du Procureur général ce qui implique, par exemple, en cas d'incident à l'audience, une comparution immédiate pouvant être suivie d'une exclusion du barreau, plus ou moins longue.

Dès 1970, tandis que l'on assiste à un agrandissement et à un rajeunissement de la profession, favorisés par les départs de plusieurs Français âgés, les revendications se précisent. Outre la relation magistrat-avocat, l'accès aux grands dossiers civils (banques, assurances, etc.), l'amélioration des conditions de travail, etc., préoccupent de plus en plus les nouveaux venus.

1975 reste une année particulière pour le Barreau du Sénégal. Cette année-là, Mame Bassine Niang devient la première avocate sénégalaise, d'origine et de nationalité. C'est également la première fois que plusieurs promotions sont admises en quelques mois, dont une de trois avocats (un record!). Un an plus tard, la très dynamique Association des jeunes avocats sénégalais (AJAS) engagée, entre autres, dans la lutte pour le respect des droits de la défense et la vulgarisation du droit auprès des justiciables, voit le jour. Dans les années qui suivent, les droits de l'homme font également leur apparition lors de conférences internationales organisées sous le bâtonnat de Maître Moustapha Seck, ayant à son actif la création à Dakar de l'Union interafricaine des avocats (U.I.A) et de l'Institut des droits de l'homme et de la paix (IDHP).

En 1978, l'agrandissement du barreau se confirme avec l'admission de groupes de dix voire plus. Mais c'est en 1982 qu'il prend un tournant décisif. Cette année-là, trente-quatre avocats prêtent serment, le même jour, après une bataille juridique et judiciaire contre le Bâtonnier Ogo Kane Diallo et le Conseil de l'Ordre. Craignant une dévalorisation de leur profession, ils avaient rejeté leurs demandes d'admission. C'est ce qui leur valut une plainte des jeunes et un procès devant la Cour d'appel de Dakar. Les candidats avaient été défendus par un ancien bâtonnier, Fadilou Diop, et par Babacar Niang, plus connu sous le nom de Mbaye Niang (également fondateur du Parti pour la libération du peuple, P.L.P). Des bâtonniers (Mame Adama Guèye, Ameth Ba), plusieurs ministres (El Hadj Amadou Sall, Madické Niang, Aïssata Tall Sall) et ténors du barreau (Boukounta Diallo, François Sarr, etc.) sont issus de la fameuse promotion de 1982.

Durant cette période, le ministère de la Justice, dirigé par Alioune Badara Mbengue, produit un projet de loi sur la profession d'avocat au Sénégal, très attendu par le barreau. La loi 84-09 du 4 janvier 1984 est finalement votée après d'âpres négociations avec son successeur, Me Doudou Ndoye.

1984-2015, le Barreau du Sénégal d'un siècle à un autre

La loi 84-09 du 4 janvier 1984 portant création de l'Ordre des avocats du Sénégal marque le début d'une ère nouvelle pour les avocats comme pour leurs clients. Le texte affirme le caractère libéral et indépendant de la profession, précise les conditions d'entrée au barreau, les règles de l'Ordre et d'exercice du métier, etc. La mise sur pied de la Caisse de règlements pécuniaires des avocats du Sénégal, communément appelée Carpa, y est également mentionnée. Elle vise à sécuriser la relation avocat-client, en particulier pour tout ce qui concerne les manipulations financières.

La création de la Carpa, considérée comme un acquis majeur, sera difficile. En 1986, au moment où les avocats planchent encore sur la création d'une caisse répondant à leurs aspirations, l'État prend les devants et produit un texte de loi qu'il fait passer devant les députés sans l'avis des concernés. Le nouveau bâtonnier, Me Boubakar Guèye mobilise le Conseil de l'Ordre, saisit le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Seydou Madani Sy ainsi que le Président de la République, Abdou Diouf. L'exécutif fait la sourde oreille. Le 28 mai 1986, le projet de loi portant création de la Carpa passe à l'approbation de l'Assemblée générale de la Cour suprême, puis il est soumis au Conseil des ministres. Outré, Boubakar Guèye convoque une assemblée générale à l'issue de laquelle il demande à ses confrères Abdoulaye Wade, Thierno Diop, Babacar Niang, Christian Valantin et Ibrahima Bèye, tous députés à l'Assemblée nationale, de s'opposer au texte. La loi 86-21 est tout de même votée le 16 juin 1986 et le décret d'application pris peu de temps après. Mais les avocats finissent par obtenir ce qu'ils veulent: la loi 87-30 du 28 décembre 1987 fait oublier celle de 1986. La Carpa devient finalement opérationnelle en 1990; elle permet de renforcer l'autonomie financière de l'Ordre.

A la même période, l'Afrique s'engage, petit à petit, sur la voie de la coopération juridique et judiciaire. Un premier pas est franchi le 17 octobre 1993 avec la signature à Port-Louis (Ile-Maurice) du Traité pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada). Depuis lors, la coopération juridique et judiciaire continue de faire son bonhomme de chemin sur le continent africain abritant désormais plusieurs juridictions dans lesquelles interviennent régulièrement des avocats sénégalais (Cour commune de justice et d'arbitrage de l'Ohada, Cour de justice de la CEDEAO, Cour de justice de l'UEMOA, Cour africaine de justice et des droits de l'homme de l'Union africaine).

Depuis le 1er janvier 2015, date de l'entrée en vigueur du Règlement n°5 de l'Union économique et monétaire ouest africaine, UEMOA, l'intégration sous-régionale a connu de nouvelles avancées. Désormais, les avocats des huit États membres sont soumis aux mêmes règles d'admission, d'exercice, etc. et les justiciables bénéficient (en principe) des mêmes droits de la défense.

LE SERMENT DES AVOCATS A TRAVERS LE TEMPS...

1859: “Je jure d’être fidèle à l’Empereur, de ne rien dire et publier de contraire aux lois, décrets, ordonnances, arrêtés et règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’État et à la paix publique, de ne jamais m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques et de ne plaider aucune cause que je ne croirais pas juste, en mon âme et conscience”

Ordonnance n°60-309 du 3 septembre 1960 portant création d'un Barreau près de la Cour d'appel du Sénégal, Article 22: "Je jure de ne rien dire ou publier de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l'État et à la paix publique et de ne jamais m'écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques"

Loi 84-09 du 4 janvier 1984 portant création de l'Ordre des avocats du Sénégal, Article 16: "Je jure de remplir dignement et loyalement ma mission en veillant au respect strict des règles de mon Ordre et de ne jamais m'écarter du respect dû à la justice et aux institutions"

Règlement n°5 de l'Union monétaire et économique de l'Afrique de l'Ouest relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA, section 2, article 24, entré en vigueur le 1er janvier 2015:

"Je jure, en tant qu'avocat, d'exercer ma profession avec honneur, indépendance, probité délicatesse, loyauté et dignité, dans le respect des règles de mon Ordre"

 

 

 

 

 

 

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Chaque vie compte

Publié le par Cécile Sow

Tel un oiseau, Black Lives Matter déploie ses ailes et traverse l'Atlantique, dans le sens inverse de celui des navires négriers, transportant dans leurs horribles cales des millions d'Africains enchaînés vers les côtes américaines. Comme pour mettre en garde les racistes -qui continuent à exécuter du Noir-, il s'impose. Loin de plier sous le poids des souffrances séculaires, infligées par l'esclavage et la discrimination raciale, il porte le message au-delà des frontières.

Black Lives Matter est si puissant que sur son passage il a rouvert les yeux de nombreux Africains qui ne voyaient peut-être plus les vestiges d'un passé colonial trop présent et toléraient les frasques de pouvoirs  devant être exemplaires.

Au Sénégal, la mort atroce de George Floyd et ce vent de protestation venu d'Amérique ont donné un deuxième souffle à la polémique sur la statue du gouverneur Louis Faidherbe (1854-1861, 1863-1865) qui trône à Saint-Louis, l'ancienne capitale de l'Afrique occidentale française (AOF) et du Sénégal. Tombée durant une tempête en septembre 2017 puis remontée peu de temps après, malgré des contestations, elle connaîtra sans aucun doute le même sort que ces monuments controversés ayant fini à terre. 

La volonté de faire disparaître les symboles d'un passé douloureux est légitime. Mais cela devrait se dérouler dans les règles, c'est à dire en accord avec l'administration locale ou nationale. Les conserver dans un lieu dédié, dans un but pédagogique en particulier, est une option envisageable. Le passé étant en partie comptable de ce que nous sommes aujourd'hui, nous devons le connaître, le comprendre et en tirer des leçons pour bâtir l'Afrique que nous voulons.

La mort atroce de George Floyd est l'horreur de trop; celle qui a fait déborder un vase plein depuis belle lurette. Mais devons-nous laisser la colère dicter notre conduite? Casser, brûler, injurier procurent une sorte de soulagement, mais une fois ces moments de rage passés, qu'adviendra-t-il? L'heure est à la concertation, au dialogue et à la réconciliation. Concertation, dialogue et réconciliation entre les tenants du pouvoir et ceux qui se sentent opprimés. La réconciliation au niveau personnel est également urgente. Parce qu'elle concerne ce qu'il y a de plus profond, de plus intime, cette dernière est peut-être la plus difficile. Se confronter à soi-même, à ses angoisses, à ses faiblesses et à ses incohérences est désagréable et pénible, voire impossible. 

Etre Africain  aujourd'hui c'est quoi? De toute évidence, il y a autant de réponses que d'Africains. La seule constante -pour ce qui est de la partie subsaharienne- semble être cette ferme volonté d'être respecté chez soi et partout dans le monde. Comme le respect et la dignité ne se négocient pas, il va falloir sortir de cet état de victime brandi à chaque occasion pour justifier nos manquements. Certes, des nations ont souffert de l'esclavage et de la colonisation, mais notre continent a aussi ses souffre-douleur. 

Chaque jour, il y a quelque part des injustices honteuses, révoltantes, dégoutantes. Entre les atteintes à la liberté d'expression, les détentions ou exécutions arbitraires, les violences communautaires, les maltraitances à l'encontre des enfants et des femmes surtout ou encore les attentats terroristes, nous avons d'innombrables raisons valables de crier notre colère et d'exiger du respect pour nos vies. Chaque vie compte. D'ailleurs, c'est ce que semblent nous dire les mouvements de colère observés dans plusieurs pays et réunissant des personnes de diverses origines, religions et milieux. Mieux, ne proviennent-ils pas également des frustrations accumulées dans des sociétés inégalitaires ayant émergé, çà et là, en dépit des grands discours sur la démocratie, au sens le plus large du terme? On se souvient du juge Kéba Mbaye, qui avait dit, en 1981, dans une intervention mémorable: "les Sénégalais sont fatigués". En 2020, les "fatigués" sont partout. C'est une raison suffisante pour taire certaines querelles anciennes et s'unir autour d'un idéal commun: celui du respect de la vie.

Chaque vie compte!

 

 

 

 

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Justice pour les malades mentaux

Publié le par Cécile Sow

Ce lundi 1er juin 2020, c'est avec une grande émotion que j'ai appris, sur les ondes d'une radio privée, le lynchage d'un malade mental à Malika, dans la banlieue dakaroise. J'ignore toujours s'il est mort ou vivant car les versions diffèrent. Pourtant, s'il s'agissait d'une personne dite "normale", il ne fait aucun doute qu'à l'heure où j'écris ces quelques lignes, nous saurions déjà tout -ou presque- de sa vie. 

Parents, amis, connaissances et voisins, se seraient jetés sur les téléphones, micros et caméras pour dévoiler l'identité, l'adresse, les activités, etc. de la victime. Mais comme il s'agit d'un "fou", cet acte ira grossir le rang des histoires sordides vite oubliées, comme cette vague de meurtres de malades mentaux qui avait frappé le pays, il y a quelques années. 

Selon l'Association sénégalaise pour le suivi et l'assistance aux malades mentaux (ASSAM), plus de 3000 personnes souffrant d'affections psychiatriques errent à travers le territoire. D'ailleurs, il suffit de marcher quelques kilomètres, dans n'importe quel quartier de Dakar, pour rencontrer au moins deux "fous". 

Vêtus de guenilles laissant parfois apparaître leurs parties intimes, marchant seul dans le silence ou en grande conversation avec des êtres invisibles à nos yeux, se nourrissant dans les poubelles, ..., ces "fous" font partie de notre quotidien.  Parce que la plupart du temps, ils nous effraient,  nous dégoutent ou nous font pitié, nous les fuyons sans demander notre reste.

Dois-je rappeler que ces hommes et ces femmes sont des êtres humains? Comme nous, ils ont droit à la vie et au respect. 

Un malade mental devrait être pris en charge par des spécialistes et soutenu par sa famille. Il est vrai que cela demande des moyens importants et de lourds sacrifices, mais chaque vie compte. Partager son quotidien avec une personne atteinte de troubles psychiatriques est une épreuve qui peut comporter des risques, mais ce n'est pas une raison pour abandonner nos malades et leur laisser courir le risque d'être moqués, humiliés, maltraités, tués par une foule en colère. C'est  inacceptable. Et que dire des viols? Justice doit être rendue.

La santé mentale devrait compter parmi les priorités. Un diagnostic précoce et une prise en charge adéquate éviteraient nombre de drames auxquels nous assistons. Par exemple, les bagarres sanglantes ou mortelles au sein de la famille. Et bien sûre les lynchages de "fous". Tous les humains ne sont pas "fous", mais le "fou" est un humain. A méditer.

 


 

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Horreurs sans frontières

Publié le par Cécile Sow

Il y a des jours où les mots sont disciplinés. Les uns après les autres, ils se suivent pour composer une phrase, puis deux, puis trois, ... Après des minutes, des heures, des jours, des semaines, des mois ou des années, ils donnent naissance à un texte dont l'auteur se libère.

Et puis, il y en a d'autres où les mots se moquent éperdument de la personne ayant décidé de les manier pour en faire un machin qui sera lu par une poignée de curieux ou plus.

Aujourd'hui, si j'ai du mal à trouver les mots justes pour exprimer mon émotion, c'est à cause de ces scènes ignobles auxquelles nous assistons sans avoir le temps de découvrir le monde sous un jour meilleur. 

J'aurais voulu n'avoir jamais vu ce genou sur ce cou. Ni dans une fiction ni dans la réalité.

La mort atroce de George Floyd, filmée puis diffusée à travers le monde, prouve une fois de plus (de trop!) que l'impunité est le berceau de l'horreur perpétuelle. Que ce soit aux Etats-Unis d'Amérique ou ailleurs, la justice doit être tout simplement ... juste et équitable. Au cas contraire, les choses iront de mal en pis. 

Au cours des derniers siècles, combien de crimes racistes, perpétrés par des esclavagistes, des membres du Ku Klux Klan, des policiers et des extrémistes en tout genre sont restés impunis? Ni vous ni moi ni personne ne pourraient les dénombrer. 

Derrière ces actes haineux et ciblés, il y ne peut y avoir aucune bonne raison.

Mais, les Etats-Unis d'Amérique, qualifiés par certains de "plus grande démocratie du monde", ne détiennent pas la palme de l'horreur. Le malheureux trophée se balade tranquillement, au gré des intérêts des uns et des autres.

Au 21ème siècle, on continue de tuer l'autre parce qu'il défend ses idées, ses droits, sa liberté ou son bien; parce qu'il est juif, chrétien, musulman, athée; parce que sa tête, sa manière de parler, de s'habiller ou de se tenir déplaît; parce que...

Pour stopper ces horreurs sans frontières, j'aurais voulu que les mots soient un indestructible bouclier. Un jour peut-être...

 

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