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La souffrance des hommes...

Publié le par Cécile Sow

La souffrance des hommes est une réalité dont on parle peu. Au Sénégal, et peut-être ailleurs, ils sont censés encaisser les coups de la vie, même les plus violents, sans se laisser submerger par la peine ou le désespoir. Notre société voudrait que larmes et sanglots soient le propre de la femme; cet être que l'on dit fragile, auquel on impose pourtant la résignation, même lorsque son chemin est parsemé d'épines et de braises ardentes. Mais la souffrance des hommes devrait aussi nous interpeller. 

L'histoire du Dr Falla Paye, qui avait tué ses trois enfants, avant de se donner la mort, au mois de novembre 2021, m'avait plongée dans la tristesse, puis dans une profonde réflexion. Point de jugements sur le dentiste ou sur son épouse, qu'il avait lourdement chargée dans une lettre d'explication. Plutôt une volonté de comprendre comment un père de famille pouvait en arriver là. Plus récemment, le suicide, dans une école, de l'étudiant Mbaye Wade, âgé de 25 ans, incriminant son père dans une note écrite, a suscité émotion et incompréhension.

J'ignore combien de personnes se suicident tous les ans au Sénégal, mais je constate que la presse signale régulièrement des cas, dans les villes et les campagnes, chez les jeunes et les seniors. Dans notre pays, où la population, en majorité musulmane, se dit croyante, on a tendance à justifier ces fins dramatiques par un manque de foi. Idem chez nombre de chrétiens. Néanmoins, une foi fragile ou inexistante ne saurait les expliquer. Et d'ailleurs, qui plus que Dieu a le droit de mesurer la foi des uns et des autres? De surcroît, dans une société prompte à calomnier, détruire, juger, condamner, etc., sacrifier son prochain, avec parfois la bénédiction d'adeptes des sciences occultes. 

La souffrance des hommes existe bel et bien. Il suffit d'être attentif pour constater qu'ils croulent, eux aussi, sous le poids des contraintes sociales. L'argent et le matériel, bien ou mal acquis, ayant pris le dessus sur toute autre considération ou presque, humiliations, injures et même dans certains cas les coups, peuvent pleuvoir sur eux. En particulier quand ils n'ont pas les moyens financiers de satisfaire les exigences, parfois démesurées des leurs, quelles qu'en soient les raisons. Traités d'incapables, privés de nourriture ou de relations intimes, contraints de se séparer de la femme qu'ils aiment et de leurs enfants, exclus du domicile conjugal ou du cercle familial, etc., les hommes maltraités, par leurs proches, ne sont pas si rares. Quand ils arrivent à se départir du manteau de la fierté,  certains diront ce qu'ils endurent. Les émissions interactives, à la radio et à la télévision, en disent long sur les dégâts causés par des rivalités exacerbées par le culte de l'apparence. 

Parmi les hommes qui souffrent, il y en a qui fuient, qui perdent la raison, qui se murent dans le silence, qui se noient dans l'alcool ou la drogue, qui deviennent agressifs et violents, qui mettent fin à leurs jours. N'imaginez pas que mon propos vise à dédouaner ces hommes coupables de crimes contre leurs épouses, leurs enfants ou contre toute autre personne, sous prétexte qu'ils souffrent. Ce ne serait ni juste ni acceptable. Mon intention est plutôt d'attirer l'attention sur notre responsabilité collective face à ce mal-être affectant une partie de la population tandis qu'une autre se complaît dans l'ostentation et la frivolité.

Qui sait vraiment ce qui a pu pousser au suicide le Dr Falla Paye, le jeune Mbaye Wade ainsi que tous ces hommes qui commettent l'irréparable? Mon sentiment est qu'ils étaient en proie à une souffrance devenue insupportable et qu'ils devaient penser insurmontable. Il y a des tragédies évitables. Une oreille attentive ainsi que des paroles bienveillantes peuvent aider à sortir une personne de la détresse et lui donner la force dont elle a besoin pour avancer dans la vie. Mais plus que le dialogue, nous aimons la bagarre.

Les histoires de coups et blessures, injures publiques, chantages et menaces ou encore divulgation d'images privées à caractère sexuel sont  tous les jours dans la presse. Nous y sommes tellement habitués qu'elles en deviennent banales, sauf dans des cas particuliers. En général, plus c'est affreux, plus ça intéresse.

Comme j'aimerais que ces malheurs nous poussent à nous interroger sur nos maux afin de les comprendre et de tenter d'y remédier. Mais au contraire, nous continuons de chercher de nouveaux coupables: manque de foi, esprits malfaisants, séries télévisées étrangères ou locales, réseaux sociaux, etc. Le mal vient de l'autre, pas de nous. Cette posture, facile et confortable, n'est sans doute pas celle qui nous permettra de mieux éduquer nos enfants, nos jeunes et même certains adultes. Reconnaître nos carences ainsi que la souffrance des hommes est une étape nécessaire dans le processus de guérison. Cela ne signifie pas que nous oublions les femmes, mais que nous voulons bien soutenir les hommes vulnérables. Que nous l'admettions ou pas, leur souffrance est la nôtre.

 

 

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Adji Sarr, un an après...

Publié le par Cécile Sow

Ce mardi 8 mars 2022, tandis qu'une partie de la planète se souvient que les femmes n'ont pas que des devoirs, mais aussi des droits, je reçois un message m'invitant à co-signer une tribune sur la plus célèbre masseuse du Sénégal, Adji Sarr. Estimant qu'il y a trop de zones d'ombre dans cette sulfureuse affaire, je botte en touche. Puis je repense à la proposition et décide de me prêter à cet exercice sensible, mais en solo. 

Ma réticence ne vient pas des réactions intempestives, souvent violentes, qui fusent chaque fois que son nom apparaît ni des tentatives évidentes de manipuler l'opinion en faveur de l'accusatrice ou de l'accusé. Elle se justifie plutôt par le fait que, contrairement à de nombreuses personnes dont les avis pullulent sur les réseaux sociaux, je pense ne pas en savoir assez pour me prononcer sur le fond. Ce dossier, avec d'un côté une vraie victime ou une femme instrumentalisée et de l'autre un homme politique en pleine ascension censé incarner la vertu, reste préoccupant. En attendant de savoir ce qui lie et/ou oppose réellement Adji Sarr et Ousmane Sonko, leurs ennuis me font dire que, même si eux ont été exposés, trop de maux sont encore déversés dans le profond puits du masla et du sutura. Celui où, au nom des convenances, on se débarrasse des choses honteuses ou condamnables, souvent au détriment des femmes.

Certes, grâce à Adji Sarr, on parle sans doute plus de viol et d'agressions sexuelles aujourd'hui que par le passé, mais cela ne semble pas servir la cause des victimes présumées ou avérées. Au contraire. Qu'il s'agisse d'Adji Sarr ou d'une autre, la femme est coupable et la plupart du temps condamnée par la société. Le mauvais accoutrement les mauvais gestes les mauvaises paroles au mauvais endroit au mauvais moment. Sans tenir compte des faits, on les accuse, encore et encore, d'avoir envoyé des signaux invitant à avoir une relation sexuelle. D'ailleurs, beaucoup de gens en parleront comme s'ils avaient été présents. Même lorsqu'il s'agit d'enfants, on trouve le moyen d'incriminer les mamans, accusées de négligence...  

Depuis cette affaire Adji Sarr, le mot viol et l'acte qu'il décrit sont devenus d'une telle banalité. Parce qu'on lui a ôté son caractère odieux et criminel, les personnes conscientes de la gravité d'un viol sont de plus en plus rares.  Tout aussi alarmant, moralisateurs et justiciers zélés -parmi lesquels des femmes- ont presque réussi à graver dans les esprits de certaines jeunes filles que si elles étaient un jour victimes de viol(s), elles en seraient les premières responsables. C'est pourquoi, un an après les violences ayant suivi la plainte d'Adji Sarr et les déboires judiciaires d'Ousmane Sonko et au lendemain de la célébration de la Journée internationale de la Femme (ou des Droits des Femmes, selon les pays), il est important de revenir sur cet épisode douloureux. Outre ces quelques raisons évoquées plus haut, il me semble aussi nécessaire de clarifier certaines choses. 

A mon humble avis, les violences de mars 2021 n'étaient pas uniquement l'expression d'un soutien populaire inconditionnel à Ousmane Sonko. Comme ces attaques verbales et physiques quotidiennes, plus ou moins graves, dans les foyers, les rues, les marchés, les bureaux..., elles étaient la conséquence d'une colère devenue insupportable pour beaucoup. Oui, les Sénégalais sont fâchés. Peut-être pas tous, mais une bonne partie. Ils sont fâchés parce que la vie est si dure que, comme on l'entend souvent, ils ne voient même plus la queue du diable pour la lui tirer. Ces évènements nous ont aussi rappelé, de manière brutale, que la paix sociale est un acquis précieux, mais fragile.

Grâce ou à cause d'Adji Sarr et d'Ousmane Sonko, je suis désormais convaincue que la rupture de confiance entre les populations et les dirigeants, souvent évoquée par l'opposition ou la société civile, est bien réelle. Malgré deux alternances politiques et les promesses d'une vitalité démocratique accrue, un climat délétère s'est s'installé au Sénégal. Tout le monde -ou presque- parle de tout, tout le temps, sans avoir les bonnes informations et parfois dans le but de nuire à l'autre. Plus dangereux, nombreux sont ceux qui croient que leurs convictions sont des vérités absolues. Cette histoire de moeurs devenue socio-politico-judiciaire n'échappe pas à cette tendance. C'est regrettable. 

En mars 2021, nous avons vu de quoi était capable une foule en colère. Onze mois plus tard, le 6 février 2022, après la victoire du Sénégal à la CAN (Coupe d'Afrique des Nations), nous avons vu de quoi était capable une foule euphorique. Dans un cas comme dans l'autre, on constate que les populations, en particulier les jeunes, ont une capacité certaine à se comprendre et à s'unir. C'est une bonne et une mauvaise chose pour nous et pour l'ensemble des dirigeants de notre pays, du pouvoir comme de l'opposition. Une bonne car cela prouve qu'ils peuvent compter sur la jeunesse; une mauvaise car cette jeunesse, qui a des aspirations et des exigences, généralement légitimes, peut de nouveau craquer, quel que soit le régime en place. Pour prévenir certaines tensions et restaurer la confiance, il va falloir plus de transparence. Il est temps de rétablir la vérité sur Adji Sarr et Ousmane Sonko, ainsi que sur tous ces dossiers dits politico-judiciaires en suspens...

 

 

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