2023 au Sénégal, l'année de tous les dangers?
Quand l'année tire à sa fin, on se projette dans un futur que l'on espère meilleur que ce passé récent dont il restera des souvenirs agréables ou pas. Décembre est un mois particulier. Il est celui des résolutions, pas toujours sincères mais réconfortantes. Se donner bonne conscience, pour partir du bon pied au matin du 1er janvier, est un exercice agréable. Facile à faire, difficile à résoudre. Les équations du quotidien -enfouies durant les fêtes dans un coin de nos têtes- reviennent toujours assombrir le tableau. Ce qui vaut pour nous, vaut pour notre pays.
Le 1er janvier prochain, ne serait-il pas merveilleux d'ouvrir les yeux sur un Sénégal apaisé, réconcilié, libéré de ses démons? Oui, mais je ne crois pas à ce genre de miracle. Les casseroles de la dernière décennie sont en équilibre sur des charbons ardents et la perspective des élections présidentielles de 2024 continue de faire grimper dangereusement le thermomètre. En ajoutant la vie chère et la pauvreté, les dysfonctionnements récurrents dans des secteurs sensibles comme la santé, l'éducation, l'habitat, la justice, etc., on obtient une soupe à la grimace explosive. En 2023, il va falloir rafraîchir les esprits surchauffés et éviter les débordements. C'est à dire, jouer la carte de l'apaisement au lieu de celles du jaay doole, du def'ante et du maa tey. Il est temps de mettre un frein à l'intimidation, à l'usage abusif de la force et à la promotion du je-m'en-foutisme. Il y va de notre avenir commun.
Le Sénégal n'est pas un pays en guerre, mais nous n'y sommes plus en paix. Tous les jours, nous faisons face à la violence verbale, morale, physique. Les tensions, entre un pouvoir frileux, parfois répressif, et une opposition plutôt va-t-en-guerre, n'en sont pas la seule cause. Autour de nous, la violence atteint désormais des proportions effroyables. Elle se voit, elle s'entend, elle se vit. Nous la subissons au quotidien, de manière plus ou moins grave. La liste des horreurs est interminable. Des enfants exploités, torturés, même tués par des maîtres coraniques censés leur inculquer la foi en Dieu, l'amour et le pardon; d'autres maltraités, abandonnés, dans des endroits immondes, par des mères déboussolées, des coépouses haineuses; des femmes bastonnées, violées, tuées par leurs compagnons, leurs époux; des malades mentaux lynchés. Même dans les cimetières, nos morts ne sont plus à l'abri de cette sauvagerie. On s'émeut vite fait, puis on passe à autre chose: la politique! Encore et toujours. Puisqu'elle est placée, malgré nous, au début et à la fin de tout, les politiciens -hommes et femmes ensemble- devraient s'engager dans la lutte contre la violence. Contre toutes les formes de violence.
Nous vivons dans une société dont les fondements s'estompent au fil du temps et des ignominies. La méfiance gagne du terrain et nous pousse à nous regarder en chien de faïence, à nous comporter en ennemi. A ce rythme, le Sénégal risque de devenir ingouvernable. Ces acteurs politiques, prompts à crier, menacer, taper en sont-ils conscients? Les scènes surréalistes qui se déroulent à l'Assemblée nationale, depuis l'installation mouvementée de la 14ème législature, peuvent également nous conforter dans l'idée d'une dégradation flagrante de la situation générale. Au lieu de représenter, avec dignité, un peuple qui ne demande qu'à vivre dans un environnement stable et sain, propice à son épanouissement, certains députés se donnent en spectacle de la pire des manières. Urne, micro, perruque, chaussure volent pendant que pleuvent gifles et coups de pied, devant les caméras et sous le regard incrédule de leurs concitoyens. Bien que cela ne laisse personne indifférent, nous constatons que des actes condamnés par les uns sont glorifiés par les autres. Cette bizarrerie provient d'une partialité totalement assumée par plusieurs personnes. Pourtant, la loi de la proximité politique (ou du genre) ne devrait jamais prévaloir sur nos lois tout court. Cela est d'autant plus dangereux que la relation de confiance entre de nombreux Sénégalais et les institutions judiciaires est déjà bien fragile. Si chaque citoyen devait rendre la justice selon ses affinités, croyances, etc., ni la nation ni la république ne survivraient. Nous en sommes presque là.
Tandis que 2023 pointe à l'horizon, on pressent une année difficile, sur tous les plans. Que l'on tienne compte ou pas de la conjoncture mondiale ainsi que de l'instabilité et de l'insécurité dans la sous-région-ouest-africaine, le pays de la Teranga, déjà fragilisé par plusieurs secousses, pourrait trembler de nouveau. Depuis les évènements du mois de mars 2021, le Sénégal n'est plus le même. Les Sénégalais non plus. Et, ces violences inédites n'étaient pas uniquement l'expression d'un soutien populaire inconditionnel à Ousmane Sonko. Elles étaient aussi la conséquence d'une colère devenue insupportable pour beaucoup de nos compatriotes, victimes de leurs espoirs déçus.
Depuis la première alternance, survenue en 2000, les élections présidentielles sont encore plus perçues comme un rendez-vous crucial, synonyme de rupture ou de continuité, selon la préférence de chacun. Les populations, les électeurs notamment, les attendent avec impatience. Ces derniers votent pour la plupart avec conviction, puis accueillent les résultats avec un sentiment de devoir accompli, même lorsque leur candidat a été évincé. Jusqu'à présent la sagesse populaire l'a emporté et le Sénégal a été épargné par les longs et sanglants conflits électoraux que l'on a vus ailleurs. En sera-t-il de même en 2024? Tout dépendra de 2023.
L'État ainsi que les dirigeants politiques, en particulier ceux qui ont des ambitions présidentielles, ont aujourd'hui la responsabilité de définir leurs priorités, en tenant compte de l'état d'esprit des populations ainsi que du climat général tendu. En 2023, il va falloir mettre le doigt sur nos problèmes de comportement et apprendre à respecter les règles de vie en société comme celles du jeu démocratique, entre autres. La quête du pouvoir n'est pas une compétition ordinaire. Les humains ne sont pas des pions que l'on abat et que l'on relève. Ils valent plus que le prestige tiré d'une position sur l'échiquier politique national ou d'une fonction au cœur de l'État ou de ses démembrements. La vie des Sénégalais est précieuse. Une partie qui se termine avec des blessés, des morts et des dégâts matériels inestimables, dont les populations seront les premières à souffrir, ça ne doit pas exister.